Vendredi 1 février 2019, temps couvert avec quelques éclaircies, s’assombrit le midi.

Arrivé en même temps que Jean-François et l’équipe de Guillaume à 9h25 près de l’Ecarpière, un ancien site de la Cogema : la chaussée de Gaudu, en bas de Saint-Crespin-sur-Moine.

J’aperçois Nadège et Murielle de l’EPTB de la Sèvre basé à Clisson, la donneuse d’ordre : elles observent.

L’équipe est descendue, sur un côté de la chaussée, immense, haute et massive comme un bunker perdu dans l’arrière pays ; au milieu le fautif, l’arbre en travers, un saule de belle taille.

Jean-François et Guillaume évaluent la tache, pas une mince affaire : d’abord ouvrir l’espace du chantier, ménager des sentiers de dégagement pour les chevaux, qu’ils puissent manœuvrer et déposer leur charge.

Manu passe le taille-haie dans la broussaille, Mubarak et Alwey enlèvent les ronces. Nico et Guillaume sont partis sur la chaussée jauger l’arbre, Nico l’entame à la tronçonneuse : séparer la souche qui partira en premier. Jean-François donne son avis sur la méthode à suivre pour pouvoir travailler avec les chevaux.

10h30, un constat, les chevaux aiment les carex, enfin ceux des sous-bois (une cousine de la bloute des marais)… Avec Nico on se chamaille : il penche pour l’iris fétide, mais la base est nettement triangulaire, morphologie typique des carex.

10h20, l’arbre qui servait de point fixe pour tenir la poulie s’abat à la traction des chevaux : à gauche, le sus-nommé Arbre, à droite, le duo Quercy et Végas, la lutte semble égale, chacun résiste, reste Merisier au centre de l’affaire en arbitre impuissant ; il finit par s’étaler de tout son long, déraciné.

 

Recommencer avec un sujet plus fort : la souche bouge, glisse un temps et se bloque… Reprendre, avec un nouveau point d’attache, et re… jusqu’à la berge, trop haute pour qu’elle l’escalade. En raclant le fond, des rhizomes de nénuphars sont remontés, troupe reptilienne entrainée dans un mouvement tournoyant : un effet du contre-courant.


Tirer, réajuster le câblage, changer de place la poulie, modifier l’axe de traction : Guillaume d’un bout, Jean-François de l’autre, le dispositif évolue au gré de l’avancée de la souche, contraint par l’espace de manœuvre et les nombreux obstacles du bosquet, les dénivelés boueux… Et oui, c’est encore le règne de la boue ! Les chevaux glissent parfois, patinent…

La souche finit par franchir l’obstacle, tirée sans ménagement jusqu’à son espace de dégagement. Le chantier avance bien maintenant. Deuxième tronçon, Nico l’a préparé. Répéter la chaîne des opérations : le fragment glisse le long de la chaussée, résiste, se bloque… Jean-François part donner son avis : faut reprendre l’attache plus haut, au bout du tronc pour que ça pivote et bascule sur la chaussée. Un animal étrange émerge, équipé de longs bras tortueux ; il entame sa glisse sur la chaussée, jusqu’à la berge… Fin de l’opération.

Faire une pause, doit être pas loin de 11h, Mubarak verse le café, nous nous sommes installés sur la chaussée, à ciel ouvert ; Gilles, le président de l’association de pêche locale rode, il suit le chantier, un autre arbre pas loin serait à dégager. Alwey nous offre des gâteaux qu’elle a préparés : un délice. Ce moment de détente est bienvenu. On aperçoit par moment du public, le chantier attire l’attention, des gens se postent de temps à autre sur le pont. Nico taquine Manu… Puis le chantier reprend : dégager le tronc dans le sous-bois ; attaquer un troisième tronçon ; répéter la manœuvre. Chaque pièce évoque un être différent, la magie enfantine opère, on se laisse prendre au jeu.

L’œil averti de Jean-François voit juste, la traction fait basculer le tronc avec sa charpentière dans un grand geste impressionnant, l’animation lui confère une âme : telle un grand cétacé tiré hors de l’eau qui, d’un dernier coup de queue, fouette l’eau.

Un petit coup de folie de Guillaume, ça sent la fin, le chantier se déroule bien : il enjoint l’équipe à faire une pyramide sur la chaussée, mais tout le monde ne suit pas, reste des images ce joyeux moment de relâche.

Il est midi, ne pas s’arrêter, reste juste la tête à tirer. La météo se gâte, ça se couvre vite, on le sent tout de suite à la fraîcheur de l’air. Maintenant les attaches sont trop courtes, faut ajuster pour aller pêcher le dernier fragment, la piste de traction aussi s’étire, et faut trouver le meilleur passage sur cette berge…

La chaussée retrouve son allure habituelle, nous désertons l’endroit, reste Gilles le ‘martin-pêcheur’ qui poussent les dernières branches dans l’eau d’un savant coup de pied, enjoué… Il a joué au foot dans sa jeunesse. S’en va remettre la pelle de la vanne : l’eau remonte, vite, et passe sur la chaussée.

 

L’équipe s’active à récupérer le matériel, les filins, les machines, il est temps de rapatrier tout cela dans la remorque… Jean-François remonte avec le duo équin : les ‘gars’ ont bien travaillé comme il aime à dire. Regagner le camion : Jean-François passe un coup de balais sur la porte basculante. Tout le monde repart, fin du chantier, enfin presque, ils reviendront lundi finir de nettoyer le site.

 

 

Je repars content de la matinée, Nico a ramassé un galet de bois sur la chaussée, me l’a montré, super, il va entrer dans la collection !

 

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[ Images et textes : courtesy Gilles Bruni, « Itinérance » résidence artistique à l’Éclaircie, Cholet ]

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